Passage

Texte d'interprétation

La touche ample et exaltée, les couleurs sombres, la matérialité et les dégoulinures de peinture rendent la lecture du tableau Passage quelque peu difficile au premier regard. Ce qui frappe en premier, c’est la technique, le mouvement, la force qui se dégage de la composition et qui pourrait presque être expressionniste. Toutefois, une lecture plus attentive permet de repérer certains éléments figuratifs : des arbres et un couple, même si ceux-ci s’éloignent d’une représentation fidèle du réel. En effet, les visages du couple sont dédoublés, tout comme certaines parties de leur corps. Malgré cela, tranquillement, les différentes pièces du casse-tête s’assemblent et le spectateur voit apparaître un paysage où évoluent un homme et une femme âgés, assis sur le bord de l’eau et mangeant de la crème glacée par une journée d’été. Leur corps au centre de la composition agit comme un rocher immuable au pied duquel le tourbillon pictural vient se briser.

Cet univers de distorsions, de formes dédoublées et fragmentées est celui avec lequel les personnes atteintes de dyslexie doivent composer tous les jours. Ani Müller est bien placée pour recréer l’expérience vécue par ces personnes, puisqu’elle doit elle-même vivre avec ce trouble d’apprentissage. À travers ses œuvres, elle tente de faire entrer le spectateur dans le monde qui est le sien et de lui faire voir et comprendre ses difficultés quotidiennes. Inspiré et composé de différentes photographies prises sur l’île Lebel à  Repentigny,  Passage, malgré sa présentation éclatée et dynamique, est un appel à la détente et aux rencontres humaines, telle que vue à travers l’esprit inventif et dyslexique d’Ani Müller. (Andrée-Anne Venne, 2013)